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Comment utiliser ses émotions pour décider ?

Faut-il suivre sa raison ou écouter ses émotions pour prendre une décision ?
Décider, c’est effectuer un choix entre plusieurs solutions susceptibles de résoudre un problème. La plupart d’entre nous pensons que pour bien décider en entreprise nous devons élaborer une analyse strictement rationnelle des différentes options.

Or, que ce soit pour arbitrer sur un investissement financier ou statuer sur le choix d’un candidat … les émotions s’invitent à la table au moment de prendre la décision !

Alors, les émotions nous dérangent-elles ou au contraire nous aident ? Doit-on suivre notre ressenti ou au contraire rester rationnel ? Doit-on utiliser ses émotions pour décider ? Et si oui dans quelles situations ?

Les émotions influencent nos décisions

Comme l’explique Sophie LAVAULT, Docteur en neurosciences, “Avant on pensait que le cœur, les sentiments ne concernaient pas du tout la logique. Maintenant on s’est rendu compte que c’est l’émotion qui crée le moteur pour nos comportements et qui fait qu’on va prendre nos décisions.”
Par exemple, quand un investisseur a un choix entre 2 valeurs pour investir, son IRM fonctionnel révèle que les zones « émotionnelles » (amygdale) s’activent autant sinon plus que les zones en lien avec la mémoire et le raisonnement. (1)
Depuis Descartes, nous pensions qu’il fallait écarter les émotions pour faire les bons choix. Les émotions étaient considérées comme des perturbateurs. Cette croyance est encore bien vivace dans notre culture.
Comme expliqué dans l’article “Intelligence émotionnelle : 3 découvertes fondamentales”, ce n’est qu’en 1994, dans « L’erreur fondamentale de Descartes » qu’Antonio DAMASIO démontre que les émotions sont nécessaires à la prise de décision. Il a su le prouver notamment au travers d’une étude devenue célèbre : Iowa Gambling Task. Dans cette étude de jeux de cartes, les participants avec lésion cérébrale (sans émotion) perdent la partie face aux participants qui utilisent leurs émotions. Selon lui, “Sans émotion, vous prendrez toujours de mauvaises décisions.”
Les émotions nous guident pour faire les bons choix et ce, bien malgré nous. Les émotions positives (circuit de la récompense) vont nous conforter dans une option tandis que les émotions négatives (circuit de la menace) vont nous en écarter.

Emotions incidentes ou intégrées

Les émotions directement liées à la décision, appelées “émotions intégrées” peuvent s’avérer utiles.  Mais les émotions qui n’ont aucun rapport par la décision, appelées “émotions incidentes” (généralement induites par d’autres événements) modifient complètement nos choix !
En effet, si nous ressentons une émotion, qui ne concerne absolument pas la décision, nous choisirons des options différentes ! Par exemple, la colère conduit à prendre des décisions plus risquées. La peur nous conduira à l’inverse. Nous devons cette découverte fondamentale à Jennifer LERNER, reconnue mondialement pour ses recherches sur l’impact des émotions sur la prise de décision.
Par exemple

Vous êtes membre d’un comité de Direction et vous devez voter pour ou contre l’acquisition d’une nouvelle société. Ce projet est risqué et les incertitudes sont élevées. Si vous ressentez de la colère (car un collègue vient de vous faire une blague de mauvais gout), vous aurez sans doute tendance à voter “pour” l’acquisition. A l’inverse, si vous ressentez de l’anxiété (vous pensez à un entretien demain avec un de vos clients), vous voterez “contre”.

Ainsi, pour prendre une bonne décision, il s’agit tout d’abord de réguler ces émotions incidentes qui la parasitent.

Et pour les émotions qui font partie du choix à prendre (les émotions intégrées), faut-il les écouter ? Notre intuition est-elle vraiment fiable ? Avant de répondre à ces questions, comprenons les 2 système qui régissent nos décisions.

Les 2 systèmes de décision

Vous avez ce problème à résoudre.

Une balle et une batte de baseball coutent 1.10€. La batte coût 1 euro de plus que la balle. Combien coûte la balle ?

A cette question, nous avons tendance à répondre rapidement « 10 centimes ». Si nous prenons quelques minutes pour calculer, nous découvrons que la réponse exacte est 5 centimes (1.05+0.05=1.10€).

Si la plupart d’entre nous plongeons dans le piège, c’est que nous utilisons un système intuitif pour répondre rapidement. En effet, notre cerveau fonctionne comme un ordinateur à 2 processeurs, appelés par Daniel KAHNEMAN : “Système 1” et “Système 2”.

SYSTEME 1

appelé communément l'”intuition” ou le “feeling

  • intuitif
  • sensible aux biais cognitifs
  • automatique
  • inconscient
  • rapide
  • sans effort
SYSTEME 2

appelé le système “rationnel”, “réfléchi”

  • raisonné (par étape)
  • moins sensible aux biais cognitifs
  • lent
  • avec effort

Le système 1 est utilisé pour répondre à une question dont on connait déjà la réponse (Comment t’appelles-tu ?) ou une question simple et récurrente (Quel repas ? Comment s’habiller ?). On est en “pilotage automatique“. Il permet d’être rapide et d’économiser beaucoup d’énergie. Au contraire, le système 2 résout les problèmes grâce à une approche analytique : il découpe les problèmes en sous-problèmes plus simples et les résout un à un. Le système 2 nécessite attention et concentration. Il est beaucoup plus lent et énergivore.

Lors d’une prise de décision, quelle qu’elle soit, la réponse intuitive du système de raisonnement 1 vient à nous instantanément au travers de notre ressenti (nos émotions) : “Je le sens / Je ne le sens pas“. Alors qu’il faut réveiller le système 2 pour qu’il fonctionne.  Notre cerveau optera donc toujours en premier pour une réponse intuitive (système 1) au détriment d’une réponse réflexive (système 2).
Par exemple, lors d’un recrutement, votre système 1 vous indiquera en quelques minutes si le candidat est de “confiance”, “compétent”, “en accord avec les valeurs de l’entreprise”… Vous aurez une “première impression”. Et votre système 2 sera utilisé lorsque vous poserez des questions et analyserez minutieusement chaque candidature et les réponses apportées à vos questions. 
Dans notre contexte actuel, l’accélération des changements et l’augmentation des décisions à prendre, nous sommes tentés d’utiliser le système 1, beaucoup plus rapide et sans effort. Mais le problème c’est que cette réponse intuitive n’est pas toujours juste. Alors, peut-on vraiment utiliser ses émotions pour décider ?

Quand utiliser ses émotions pour décider ?

Gary KLEIN  a étudié les prises de décision en situation d’urgence, chez les pompiers ou les médecins urgentistes. Il explique une histoire qui illustre bien dans quelles situations, nos émotions sont fiables pour décider.

Histoire du commandant face à un feu de maison

Une maison prend feu. Personne n’est à l’intérieur. Les pompiers entrent pour pouvoir éteindre le feu. Mais, leur commandant de brigade ordonne l’évacuation immédiate de toute son équipe, alors même que la maison brûlait encore !
Il ne savait pas pourquoi, mais il “sentait” qu’il fallait absolument sortir de toute urgence. Et quelques minutes plus tard, la maison a explosé. Par cette décision, le commandant avait sauvé la vie de l’ensemble des membres de son équipe !
Après analyse avec Gary Klein, le commandant explique que selon lui, le bruit de l’incendie n’était pas comme d’habitude. Et en effet, il y avait une chaudière située à la cave de la maison, ce qui explique la différence de bruit puis l’explosion. Ce commandant a donc détecté de manière totalement intuitive la dangerosité de la situation.
Et si ce commandant a pu savoir que le bruit était différent et que la maison allait exploser, c’est grâce à ses 15 années d’expérience !

(En situation d’urgence, les décideurs) utilisent leur expérience en s’appuyant sur des modèles qu’ils ont construits depuis 10, 15, 20 ans d’expérience.(…) On peut parler d’intuition car ce n’est pas quelque chose qu’ils délibèrent consciemment : la solution leur vient juste à l’esprit.

Gary KLEIN

Vidéo How can leaders make good decisions under a crisis? – Gary Klein on Fresh perspectives – LOOKTOK

Cette histoire démontre que utiliser ses émotions pour décider est fiable quand nous sommes dotés d’une expérience solide. C’est justement ce qu’a modélisé Daniel KAHNEMAN dans sa grille de décision.

La grille de décision

S’appuyant sur les travaux de Gary Klein, Daniel Kahneman a défini 2 facteurs pour valider son intuition :
  • l’expérience – Avons-nous assez d’expertise dans le domaine concerné par la décision ?
  • l’environnement : L’environnement concerné par cette décision est-il régulier, prévisible ?
Selon ces 2 déterminants, nous avons 4 situations différentes :
  • une intuition efficace – Expérience élevée et environnement stable – Situations où nous pouvons utiliser nos émotions pour décider
  • une intuition apprenante – Environnement stable mais manque d’expérience
  • un “excès de confiance” – Expérience élevée mais environnement incertain
  • une intuition chaotique – Faible expérience et environnement instable

Intuition efficace

En cas d’expérience signifiante dans un domaine qui ne change pas, notre intuition nous guide vers les bonnes décisions. Autrement dit, quand nous sommes experts dans le domaine concerné par la décision et que l’environnement est connu, alors nous pouvons nous fier à notre ressenti – à savoir la première solution qui nous vient à l’esprit. Nous serons alors plus rapides et performants !
Dans l’histoire du commandant de brigade de pompiers, le commandant possède plus de 15 ans d’expérience dans les incendies et un incendie de maison reste le même que ce soit il y a 15 ans ou aujourd’hui. L’environnement de la décision est donc connu et régulier. Son intuition de faire évacuer était donc la bonne décision à prendre !
Process d’une décision en utilisant ses émotions

Gary KLEIN explique que les décideurs ou pression ne prennent pas le temps d’étudier plusieurs alternatives. De manière extrêmement rapide, les décisions intuitives se prennent en 3 temps. Tout d’abord, les décideurs ont une première indication inconsciente (dans l’histoire du commandant, c’est un bruit d’incendie différent). Ensuite ils trouvent très furtivement une solution (ici d’évacuer de toute urgence). Enfin, ils simulent mentalement cette option et le cas échéant, ils la choisissent.

En d’autres termes, pour utiliser ses émotions pour décider, il faudrait visualiser rapidement la première option qui nous vient à l’esprit et la saisir si cette simulation mentale s’avère pertinente.

En somme, l’intuition est efficace uniquement lorsque l’environnement est certain et l’expérience solide. Dans les autres situations, l’intuition n’est pas efficace.

Excès de confiance

Selon Daniel Kahneman, un environnement trop irrégulier explique que les intuitions à long terme dans le domaine économique ou politique des plus grands experts sont souvent fausses.
Par exemple, “L’économiste Orley Ashenfelter a lui aussi montré qu’un algorithme très simple, basé sur des données climatiques, pouvait prédire l’évolution des prix des grands vins de bordeaux bien mieux que les experts-œnologues.” (2)
Souvent, les années d’expérience induisent souvent des habitudes de travail ancrées et une rigidité de pensée. Ainsi, même dans un environnement inhabituel – auquel nous sommes pratiquement tous confrontés aujourd’hui, nous sommes alors en “excès de confiance”. Dans ce cas, notre intuition risque de nous induire en erreur. Nous devons donc préférer décider de manière réfléchie et suivre un processus de décision (système 2).

Intuition apprenante

Dans le cas où nous avons conscience de notre manque d’expérience, nous allons vérifier la justesse de notre intuition sur des décisions bénignes et ajuster en fonction des résultats obtenus.

Certains experts conseillent d’ailleurs de trouver une première option rapidement grâce au système 1 et de la valider avec le système 2. Cette technique permet d’éviter d’analyser toutes les options et donc de gagner du temps.

Intuition chaotique

Enfin, se fier à notre intuition alors que nous manquons d’expérience et que nous naviguons en terre inconnue est juste catastrophique. Dans cette situation, utiliser systématiquement votre système 2 pour décider !

En résumé

Seules les émotions intégrées, celles qui concernent la décision sont utiles. Pour les autres émotions, dites “incidentes”, il faut apprendre à les réguler.

Nous avons 2 systèmes de décision : intuitif et rationnel.

  • Notre intuition (système 1) nous transmet toujours rapidement une solution.
  • Le système 2 quant à lui doit être sollicité par un effort et est plus lent.

L’utilisation de notre système intuitif est efficace dans le cas d’un environnement stable. Si nous possédons une expérience significative, nous pouvons nous fier à notre intuition. Simuler mentalement la première option qui s’offre immédiatement à nous et voir si cela fonctionne. Si nous ne possédons pas d’expérience significative, nous pouvons alors s’amuser à exercer son intuition.

Dans le cas d’un environnement instable, une analyse rationnelle est nécessaire suivant un processus de décision et mettre en place des bonnes pratiques pour contrer les biais cognitifs.

Sources et références de l’article

(1) Bernard Anselem – Conférence “Emotions et prise de décision – MSH Alpes”

(2) Harvard Business Review – Voir l’article en entier