Soft-blog, le blog 100% soft skills

Intelligence émotionnelle : 3 découvertes fondamentales

Comment la neuroscience révolutionne la compréhension de nos émotions ?
Pour développer notre intelligence émotionnelle, nous devons comprendre les mécanismes psychologiques qui entrent en jeu. La neuroscience affective a justement réalisé de récentes découvertes qui modifient complètement notre perception sur le fonctionnement de notre système émotionnel. J’en ai sélectionné 3. Explorons-les ensemble.

Découverte de la neuroscience n°1

LES EMOTIONS SONT INDISPENSABLES POUR DECIDER

La théorie des 3 cerveaux

Sous l’influence de René Descartes (1600), nous pensions qu’il fallait écarter les émotions pour bien raisonner et faire les bons choix. Les émotions étaient considérées comme des perturbateurs qui empêchaient notre “raison” de fonctionner. Cette vision cartésienne, qui sépare nettement la raison des émotions, est encore bien vivace actuellement. D’ailleurs, dans les années 1950, le neurobiologiste Paul Lean a fondé la théorie des 3 cerveaux qui présente le cerveau sous trois parties distinctes :
  1. le cerveau reptilien, qui assure les fonctions vitales : respiration, rythme cardiaque, …
  2. le cerveau limbique (ou émotif), qui gère les fonctions émotionnelles
  3. le cerveau rationnel, qui permet de réfléchir et raisonner
Selon cette théorie, le cerveau rationnel a pour rôle de réguler l’émotion et donc “contenir” les informations transmises par le cerveau émotif. Cependant, grâce aux avancées en neurosciences affectives, cette perspective est devenue complètement obsolète !

L’erreur de Descartes

En 1994, dans son livre “L’erreur de Descartes, Antonio Damasio démontre que nous avons besoin de nos émotions pour décider. Autrement dit, que si nous sommes incapables de ressentir des émotions, nous sommes tout aussi incapables de raisonner et de prendre les bonnes décisions.

Sans émotion, vous prendrez toujours de mauvaises décisions.

Antonio DAMASIO, Erreur de Descartes, 1994

Cette découverte, considérée comme fondamentale, remet totalement en question la conception cartésienne : les émotions ne sont pas des perturbateurs à notre raisonnement. Bien au contraire, elles sont indispensables à notre raisonnement.

Avant on pensait que le cœur, les sentiments ne concernaient pas du tout la logique. Maintenant on s’est rendu compte que c’est l’émotion qui crée le moteur pour nos comportements et qui fait qu’on va prendre nos décisions.

Sophie LAVAULT, Docteur en neurosciences

Antonio Damasio a su le prouver notamment au travers notamment d’une étude devenue célèbre : Iowa Gambling Task ↓. Dans cette étude de jeux de cartes, les participants qui avaient une lésion cérébrale les empêchant de ressentir des émotions perdent la partie face aux participants « normaux », dotés d’un système émotionnel. Autrement dit, si notre système émotionnel fonctionne mal, nous ne sommes plus à même de penser de manière rationnelle.

Ce jeu de cartes est comme la vie : seule la prévision émotionnelle nous permet de survivre.
Antonio DAMASIO, Erreur de Descartes, 1994

En effet, comme expliqué dans l’article Gérer ses émotions, les émotions sont des incitateurs à l’action qui ont permis de savoir fuir le danger ou attaquer l’ennemi et donc de survivre. Grâce à cette découverte, nous savons aujourd’hui que les émotions entrent en jeu inconsciemment même pour des décisions où notre vie n’est pas en péril. En effet, bien malgré nous, les émotions positives vont nous conforter dans une option tandis que les émotions négatives vont nous en écarter.

Un seul et même cerveau

Le cerveau qui pense, qui calcule et qui décide n’est pas autre que celui qui rit, qui pleure, qui aime, qui éprouve du plaisir et du déplaisir.
Antonio DAMASIO, Erreur de Descartes, 1994

Nous avons bien qu’un seul et même cerveau !  Raison et émotions sont indissociables. En d’autres termes, nous sommes intelligents à la condition d’intégrer nos émotions dans nos processus cognitifs. Et c’est à ce moment là que le concept d'”intelligence émotionnelle” est apparu.

Comprendre les fondements et les avantages de l’intelligence émotionnelle

ETUDE SCIENTIFIQUE – Iowa Gambling Task – Explications 

Les participants disposent de 2000$ (comme au Monopoly®) et 4 piles de cartes : A, B, C et D. Les piles A et B sont non rentables (elles peuvent rapporter 100 $ ou faire perdre: 1250 $). Les piles C et D sont rentables (elles rapportent 50 $ ou faire jusqu’à 100 $ toutes les 10 cartes). Le jeu consiste à retourner une carte à la fois jusqu’à ce que l’expérimentateur demande d’arrêter. Il est interdit aux joueurs de prendre des notes. L’objectif est de gagner un maximum d’argent.

2 types de participants : des participants « normaux » et des participants avec une lésion cérébrale les empêchant de ressentir des émotions.

Au bout d’une trentaine de donnes, les participants normaux qui sont eux, attentifs aux signaux émotionnels (accélération cardiaque, transpiration, bouffée de chaleur, …) piochent uniquement dans les piles rentables. A l’inverse, les participants « sans émotion » s’obstinent à continuer de piocher dans les piles non rentables et perdent la partie !

Des capteurs épidermiques mesurant les réactions émotionnelles montrent que chez les sujets normaux, un signal est envoyé dès qu’ils s’apprêtent à piocher une carte des piles non rentables. Au fur et à mesure de l’expérience, ces signaux permettent à l’individu d’apprendre à choisir la meilleure option.

Résultat : Les émotions sont des signaux d’alerte à écouter pour faire les bons choix.

Source : Bechara A., Damasio A. R., Damasio H. et Anderson S. W. « Insentivity to future consequences following damage to human prefrontal cortex », Cogniotio, 1994, 50, p 7-15

Découverte de la neuroscience n°2

LES EMOTIONS APPARAISSENT SANS NOTRE CONTROLE
Une autre découverte neuroscientifique récente est le circuit que les émotions effectuent dans notre cerveau pour déclencher notre réaction face à une situation (le “circuit cérébral de l’émotion”).

Les réactions émotionnelles

En effet, une émotion est constituée de
  • Réactions physiologiques, expressions faciales, corporelles, hormones… déclenchées par l’hypothalamus
  • Réactions psychologiques, nos pensées. Par exemple : « Dois-je avoir peur ? », « Est-ce que c’est vraiment un serpent que je vois ? ». Elles sont gérées par le cortex préfrontal, siège de notre raisonnement.

L’épisode émotionnel

Les neuroscientifiques ont découvert que l’hypothalamus, qui déclenche nos réactions physiologiques est activé avant l’intervention du cortex préfrontal, responsable des réactions cognitives. En d’autres termes, nos réactions physiologiques (ressenti émotionnel) apparaissent avant nos réactions psychologiques, suivant le processus qu’on appelle l’épisode émotionnel.
Et cette découverte révolutionne notre compréhension des émotions ! Elle signifie que nous ressentons une émotion, les sensations corporelles qu’elle provoque, avant même d’en avoir conscience (les réactions psychologiques). Autrement dit, notre ressenti émotionnel se déclenche sans notre contrôle.
C’est pourquoi il est absurde de dire à quelqu’un : “Tu n’as pas à ressentir de la peur dans telle situation” ou encore “Tu ne dois pas être en colère pour cela.” Et, étant donné que nous ne pouvons pas empêcher l’apparition d’une émotion, la seule voie à suivre est de gérer cette émotion une fois qu’elle s’est manifestée.

Découverte de la neuroscience n°3

LES EMOTIONS PEUVENT GOUVERNER NOS COMPORTEMENTS

Le circuit cérébral de l’émotion

Pour comprendre cette 3ème découverte fondamentale de la neuroscience affective, voici une explication du circuit qu’effectue une émotion dans notre cerveau :
Imaginons que vous regardiez un film d’épouvante et soudain une scène vous fait vraiment très peur ! Tout d’abord, le thalamus trie les informations reçues et active l’amygdale. Cette dernière, située dans chaque hémisphère de notre cerveau, lance le signal d’alerte« J’ai peur ». Elle active l’hypothalamus qui focalise notre attention sur le danger et déclenche les réactions physiologiques (expressions faciales, corporelles et hormones). L’amygdale consulte ensuite l’hippocampe, zone de nos souvenirs, qui recherche une situation similaire pour savoir comment agir : “Qu’est-ce que je fais d’habitude dans la même situation ?” ou “Qu’est-ce que j’ai récemment fait face à la même situation ?” Puis, l’information est envoyée aux zones frontales du cerveau, cortex préfrontal (ou néocortex), siège de la raison, qui vérifie si le danger est réel ou pas : “Dois-je avoir peur ?’. Si le danger est considéré comme réel, le cortex préfrontal continue d’activer l’amygdale, sinon il la “refroidit”. Pour résumer, le thalamus trie l’information et active l’amygdale qui déclenche des réactions corporelles (l’hypothalamus) puis consulte le cortex préfrontal pour savoir comment agir (réactions psychologiques). En fonction de son “analyse”, le cortex préfrontal “accélère” ou “ralentit” l’amygdale.
Mais parfois, l’émotion ne réalise pas le circuit en entier : les neuroscientifiques expliquent que “l’amygdale court-circuite le cortex préfrontal”. En d’autres termes, l’émotion ne passe par par le siège de notre raisonnement.

Les 2 circuits de l’émotion

Nous devons cette découverte notamment à Joseph LEDOUX, directeur du Centre de la neuroscience de la peur et de l’anxiété à l’Université de New York. Ce neuroscientifique détermine 2 circuits de l’émotion :
  • Un circuit long : lent, précis, avec l’intervention du cortex préfrontal et qui provoque donc une réaction consciente et réfléchie
  • Un circuit court : ultra-rapide, imprécis, sans l’intervention du cortex préfrontal, qui provoque donc une réaction inconsciente et automatique.
Ce circuit ultra-rapide (quelques millièmes de secondes), notamment utilisé pour la peur, permet de réagir au plus vite et assure notre survie pour fuir ou attaquer.
Par exemple, imaginez que vous voyez quelqu’un en train de se noyer, votre amygdale va immédiatement déclenchée un signal d’alarme et va vous pousser à plonger pour sauver cette personne. C’est exactement ce qui s’est passé lors des Championnats du monde FINA 2022. Quand la nageuse Anita Alvarez perd connaissance pendant la course, Andrea Fuentes, sa coach plonge immédiatement dans l’eau toute habillée pour la sauver (voir article en entier). Nous avons enfin l’explication scientifique de ce phénomène psychologique.

Anatomiquement, le système qui gouverne les émotions peut agir indépendamment du néocortex. Certaines réactions et certains souvenirs émotionnels peuvent se former sans la moindre intervention de la conscience et de la cognition.

Joseph LEDOUX

L’explication de ces 2 circuits est considérée comme l’une des plus grandes découvertes en neuroscience affective. Elle permet notamment de tirer une conclusion fondamentale pour comprendre le système émotionnel :

Nos émotions peuvent gouverner nos comportements sans aucune intervention de notre part.

Sous l’emprise des émotions intenses

Ce court -circuit est idéal pour des situations qui mettent en péril notre vie. Réfléchir retarderait les réflexes de survie. Mais cette inhibition du siège de notre raison peut également avoir lieu en cas d’émotions intenses.

Notre intelligence est inutile quand nous sommes sous l’emprise d’une émotion.

Daniel GOLEMAN, L’intelligence émotionnelle, Editions J’ai lu

En effet, quand nous ressentons une émotion très forte, toutes les fonctions exécutives sont inaccessibles : décider, trouver des idées, analyser, mémoriser, analyser, communiquer… Nous sommes alors physiquement incapables de réfléchir.

Pendant cette période d’activation appelée la phase réfractaire, nous n’enregistrons plus certaines informations ou nous ne les enregistrons que de manière biaisée. Nos capacités de prise de décision et de communication s’en trouvent affectées.

 Ilios KOTSOU, Intelligence émotionnelle et management : Comprendre et utiliser la force des émotions, Editions Boeck Supérieur

D’ailleurs, quand les ressentis émotionnels sont passés (ce que les experts appellent la “phase réfractaire“), il arrive fréquemment que nous nous interrogions sur les comportements que nous avons adoptés. Par exemple, lors d’une dispute, lorsque la colère est à son comble, il peut nous arriver de proférer des paroles complètement absurdes et inappropriées. Une fois notre colère dissipée, nous nous demandons d’où sont venus ces propos et nous regrettons souvent de les avoir dits.

En résumé

Les avancées en neuroscience affective permettent de mieux appréhender 3 phénomènes psychologiques essentiels à comprendre pour développer notre intelligence émotionnelle :

  • Les émotions sont indispensables pour réfléchir et prendre de bonnes décisions.

  • Nous avons aucun contrôle sur l’apparition de nos sensations émotionnelles

  • Nos émotions peuvent parfois guider nos comportements sans aucune intervention de notre part.

Il est très probable que l’implication d’autres structures cérébrales et d’autres mécanismes émotionnels restent encore à découvrir. Les recherches sur le comportement humain n’en sont qu’à leur début.

En tous les cas, ces 3 découvertes révèlent alors la puissance des émotions et leur vive utilité. C’est pourquoi il est devenu indispensable de développer son intelligence émotionnelle.